Dessin Equi Jane Peinture
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Le cheval.Je l'avais saisi par la bride ;Je tirais, les poings dans les noeuds, Ayant dans les sourcils la ride De cet effort vertigineux. C'était le grand cheval de gloire, Né de la mer comme Astarté, À qui l'aurore donne à boire Dans les urnes de la clarté ; L'alérion aux bonds sublimes, Qui se cabre, immense, indompté, Plein du hennissement des cimes, Dans la bleue immortalité. Tout génie, élevant sa coupe, Dressant sa torche, au fond des cieux, Superbe, a passé sur la croupe De ce monstre mystérieux. Les poètes et les prophètes, Ô terre, tu les reconnais Aux brûlures que leur ont faites Les étoiles de son harnais. Il souffle l'ode, l'épopée, Le drame, les puissants effrois, Hors des fourreaux les coups d'épée, Les forfaits hors du coeur des rois. Père de la source sereine, Il fait du rocher ténébreux Jaillir pour les Grecs Hippocrène Et Raphidim pour les Hébreux. Il traverse l'Apocalypse ; Pâle, il a la mort sur son dos. Sa grande aile brumeuse éclipse La lune devant Ténédos. Le cri d'Amos, l'humeur d'Achille Gonfle sa narine et lui sied ; La mesure du vers d'Eschyle, C'est le battement de son pied. Sur le fruit mort il penche l'arbre, Les mères sur l'enfant tombé ; Lugubre, il fait Rachel de marbre, Il fait de pierre Niobé. Quand il part, l'idée est sa cible ; Quand il se dresse, crins au vent, L'ouverture de l'impossible Luit sous ses deux pieds de devant. Il défie Éclair à la course ; Il a le Pinde, il aime Endor ; Fauve, il pourrait relayer l'Ourse Qui traîne le Chariot d'or. Il plonge au noir zénith ; il joue Avec tout ce qu'on peut oser ; Le zodiaque, énorme roue, A failli parfois l'écraser. Dieu fit le gouffre à son usage. Il lui faut les cieux non frayés, L'essor fou, l'ombre, et le passage Au-dessus des pics foudroyés. Dans les vastes brumes funèbres Il vole, il plane ; il a l'amour De se ruer dans les ténèbres Jusqu'à ce qu'il trouve le jour. Sa prunelle sauvage et forte Fixe sur l'homme, atome nu, L'effrayant regard qu'on rapporte De ces courses dans l'inconnu. Il n'est docile, il n'est propice Qu'à celui qui, la lyre en main, Le pousse dans le précipice, Au-delà de l'esprit humain. Son écurie, où vit la fée, Veut un divin palefrenier ; Le premier s'appelait Orphée ; Et le dernier, André Chénier. Il domine notre âme entière ; Ézéchiel sous le palmier L'attend, et c'est dans sa litière Que Job prend son tas de fumier. Malheur à celui qu'il étonne Ou qui veut jouer avec lui ! Il ressemble au couchant d'automne Dans son inexorable ennui. Plus d'un sur son dos se déforme ; Il hait le joug et le collier ; Sa fonction est d'être énorme Sans s'occuper du cavalier. Sans patience et sans clémence, Il laisse, en son vol effréné, Derrière sa ruade immense Malebranche désarçonné. Son flanc ruisselant d'étincelles Porte le reste du lien Qu'ont tâché de lui mettre aux ailes Despréaux et Quintilien. Pensif, j'entraînais loin des crimes, Des dieux, des rois, de la douleur, Ce sombre cheval des abîmes Vers le pré de l'idylle en fleur. Je le tirais vers la prairie Où l'aube, qui vient s'y poser, Fait naître l'églogue attendrie Entre le rire et le baiser. C'est là que croît, dans la ravine Où fuit Plaute, où Racan se plaît, L'épigramme, cette aubépine, Et ce trèfle, le triolet. C'est là que l'abbé Chaulieu prêche, Et que verdit sous les buissons Toute cette herbe tendre et fraîche Où Segrais cueille ses chansons. Le cheval luttait ; ses prunelles, Comme le glaive et l'yatagan, Brillaient ; il secouait ses ailes Avec des souffles d'ouragan. Il voulait retourner au gouffre ; Il reculait, prodigieux, Ayant dans ses naseaux le soufre Et l'âme du monde en ses yeux. Il hennissait vers l'invisible ; Il appelait l'ombre au secours ; À ses appels le ciel terrible Remuait des tonnerres sourds. Les bacchantes heurtaient leurs cistres, Les sphinx ouvraient leurs yeux profonds ; On voyait, à leurs doigts sinistres, S'allonger l'ongle des griffons. Les constellations en flamme Frissonnaient à son cri vivant Comme dans la main d'une femme Une lampe se courbe au vent. Chaque fois que son aile sombre Battait le vaste azur terni, Tous les groupes d'astres de l'ombre S'effarouchaient dans l'infini. Moi, sans quitter la plate-longe, Sans le lâcher, je lui montrais Le pré charmant, couleur de songe, Où le vers rit sous l'antre frais. Je lui montrais le champ, l'ombrage, Les gazons par juin attiédis ; Je lui montrais le pâturage Que nous appelons paradis. — Que fais-tu là ? me dit Virgile. Et je répondis, tout couvert De l'écume du monstre agile : — Maître, je mets Pégase au vert. |