Franz Marc

Le cavalier bleu

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Biographie de Franz Marc : le monde coloré des animaux (1880 - 1916)


Le 8 février 1880, naquit Franz Marc dans une famille d'artistes à Munich. Il étudia à l'Académie d'Art de Munich, entre 1900 et 1903. Il voyagea ensuite à Paris et en Bretagne. Il fit connaissance avec Macke et Kandinsky en 1909, qui eurent une grande influence sur son travail. Il commença alors à peindre de manière expressive et colorée. Il abandonna le style figuratif.
Depuis 1911, il fut un membre du groupe d'artiste "Der blaue Reiter" (le cavalier bleu) et prit part à leurs expositions.
En 1914, Franz Marc revint en Bavière et fut enrôlé dans l'armée. Il mourut sur le champ de bataille de Verdun, le 4 mars 1916.
Le thème principal de l'oeuvre de Marc est le monde animal. Les animaux lui semblaient plus beaux et plus purs que les hommes. Les couleurs furent un élément d'expression principal. Franz Marc est ainsi devenu un des représentants les plus significatifs du mouvement expressionniste. Il finit par une peinture très abstraite.
Franz Marc fut ce peintre expressionniste, marqué par les fauvistes, par Van Gogh, Paul Cézanne et Paul Gauguin, et qui recherchait intensément son or du temps à lui, à savoir « le spirituel dans l’art ».
Et pour lui le peintre était une sorte de martyr, intercesseur avec les mystères de la nature, sachant fusionner avec ses frémissements.
Homme mystique, pétri de théologie, il faillit d’ailleurs devenir prêtre, avant que l’amour de la philosophie et des élans romantiques de la nature et du cosmos l’amènent à fusionner avec les animaux.

Dans sa quête éperdue vers l’innocence, il va vouloir peindre « les choses les plus simples et les plus intérieures » et le thème majeur de sa peinture sera le cheval.
Le cheval, non pas domestique ou placide, mais interrogeant le paysage, porteur du rythme de l’univers, symbolique de la force vitale naturelle.

L’animal est pour lui plus pur que les hommes, il est élévation spirituelle et il peut faire communiquer avec les sphères si l’empathie se fait.
Le cheval est dans sa posture, ses attitudes, déjà un sentiment spirituel, une sentinelle de l’univers, celui que voulait approcher le peintre.
Franz Marc transfère dans l’attitude des chevaux ses envolées mystiques. Il s’appuie sur la symbolique des couleurs, conçue comme une musique, et il joue des courbes rythmiques entre paysage et animal, comme pour la recherche d’une transcendance, d’une osmose.
« Je recherche une communion panthéiste avec la vibration et le flux du sang de la nature, dans les arbres, dans les animaux, dans l'air [...]. Je ne vois pas de meilleur médium pour "l'animalisation " de l'art, comme je voudrais l'appeler, que la peinture de l'animal ». (Lettre de décembre 1908).

Ce retour à cet Art animalier qui accompagne l'homme depuis la nuit des temps, est unique dans l’expressionnisme allemand. Fortement symbolique, cette peinture onirique, permet de le situer à la confluence des tendances cubiste, futuriste et expressionniste, dont il réalise une synthèse magistrale. Il aura trouvé sa voie vers une sorte de sainteté dans une iconographie presque totalement dévolue aux animaux : chevaux bleus ou marrons, biches, renards, sangliers, chevreuils, loups, chats, moutons, tigres, éléphants, …peuplent son univers alors que les humains y seront rares après 1911-1912.
Ses amis animaux sont ses avatars, ses doubles, eux capables d’être en fusion avec la nature. Et cette nature est certes cruelle et violente, mais d’une étrange pureté, comme un paradis perdu, comme une intense musique d’ailleurs, une musique des sphères, tendue de rythmes et de pulsions.
Il est celui qui a le mieux illustré l’empathie panthéiste, et ses animaux sont des icônes dressées, comme en adoration.
Son grand ami Paul Klee, très influencé par lui, partageait cette quête vers l'absolu de l’innocence.
Il sera inconsolable quand il apprendra la mort de son ami.

Franz Marc et ses animaux expressionnistes, à l’orée des rêves et des fusions avec la nature, est le plus connu des peintres expressionnistes allemands, mais pour des raisons simplistes, comme un fournisseur d’images pour posters, alors que bien des ombres sont dans son œuvre qui appelle aussi l’apocalypse.
Autant que Kandinsky, il aura amené la peinture vers des voies nouvelles, vers l’abstraction chaleureuse afin de découvrir quelques lois de l’univers :
« Je suis en train d'intensifier mon sentiment pour le rythme organique de toutes choses, pour atteindre une empathie panthéiste avec le battement et l’écoulement du sang de la nature dans les arbres, les animaux, dans l'air. »

Son été flamboyant n’aura pourtant duré vraiment que moins de quatre ans, et toutes les espérances auront été mises à bas, et même son tableau mythique « La tour des chevaux bleus » a disparu en fumée, comme lui.
Destins des bêtes, destins des hommes

Un des plus beaux tableaux de Franz Marc s’intitule « le destin de l’animal » et représente des biches, dont une biche bleue tendue vers le ciel, écartelées dans des éclairs rouges. Ainsi fut la mort de Franz Marc à Verdun, liant son destin au destin des bêtes qu’il aura tant aimées. Ce tableau prémonitoire date de trois ans avant sa mort.
La fable des animaux fut donc la légende de sa propre vie.
Au dos de cette toile il avait écrit : « Et tout être est sa propre douleur enflammée ».

Et sur le front il écrira à sa femme que cette peinture «est comme une prémonition de cette guerre - horrible et bouleversante. Je peux difficilement concevoir que je l'ai peinte. »
Il l’avait peinte de façon prémonitoire voyant le cataclysme qui s’avançait sur le monde, mais il avait une approche de la mort sans crainte :
« Je comprends bien que vous parlez aussi facilement de la mort comme d'une chose qui ne vous effraie pas. Je pense exactement la même chose…. rien n'est plus apaisant que la perspective de la paix de la mort ... la seule chose commune à tous. Elle nous ramène à la normalité de notre "être". L'espace entre la naissance et la mort est une exception, dans laquelle il y a beaucoup à craindre et souffrir. Le seul vrai, et constant effort philosophique est la prise de conscience que cette condition exceptionnelle va passer et que notre conscience personnelle toujours inquiète, toujours en quête du monde inaccessible, sera à nouveau retombée dans sa merveilleuse paix d’avant la naissance ... Celui qui s'efforce ainsi devient pureté et connaissance, pour lui la mort vient toujours comme un sauveur. » (Lettre à Paul Klee).

Cette mort espérée, il va s’y jeter, comme pour une expiation, en s’engageant comme volontaire.
La Grande Guerre aura dévoré ou écrasé bien des artistes peintres : Vallaton, Marc, Macke, Derain, Braque, Léger, Kokoschka, Beckmann, Derain, Camoin, Dix, Kirchner, Schmidt-Rottluff, … comme une apothéose cubiste avec les corps démembrés et les lignes des tranchées :
« Tant d'obus en tant de temps sur une telle surface, tant d'hommes par mètre et à l'heure fixe en ordre. Tout cela se déclenche mécaniquement. C'est l'abstraction pure, plus pure que la Peinture cubiste "soi-même". » (Léger).
Presque aucun à part Otto Dix ne voudra en témoigner.

La plupart furent contraints de faire cette guerre, d’autres s’y précipitèrent avec enthousiasme comme Franz Marc et August Macke. Ainsi sa mystique et ses études de théologie n’auront pas protégé Franz Marc de la frénésie nationaliste.
Une mystique des couleurs
 L'art n'est rien d’autre que l'expression de notre rêve ;  plus nous nous abandonnons à elle plus on se rapproche de la vérité intérieure des choses, notre rêve de vie, la vraie vie méprise les questions et ne les voient pas. Franz Marc
 Comme les cabalistes, et plus tard Robert Delaunay et Mark Rothko, Franz Marc croit au langage spirituel des couleurs, à leur symbolique profonde, leur faculté de nous faire accéder à la transcendance. Les couleurs étaient pour eux intrinsèquement porteuses d’émotion, de passage vers le spirituel.

Marc a donné une signification émotionnelle aux couleurs qu'il utilise dans son travail: le bleu était utilisé pour la masculinité et la spiritualité, le jaune représentait la joie féminine, et le rouge recouvrait le pouvoir de la violence.
La couleur est donc un langage symbolique dont il joue comme un compositeur de musique :
Le bleu est le principe mâle, sévère et spirituel. Le Jaune est le principe féminin, doux, joyeux et sensuel. Le rouge est matière, brutale et lourde et toujours la couleur qui doit être combattue et vaincue par les deux autres.

Il utilise des couleurs primaires vives qui s’opposent, se combattent, et délimitent un nouveau monde.
Sa toile est riche de touches empâtées, elle est tendue tout entière par des courbes rythmiques.
Mais la partie connue de son œuvre, chatoyante, profonde est en fait tardive.
Avant 1910 sa peinture est souvent convenue, académique, sans originalité.
Mais vite des influences se font jour.
Sa formation académique, faite d’un naturalisme assumé et solide, se trouve interrogée dès 1903 par la découverte de la peinture des impressionnistes français.
Puis plus tard celle du mouvement de Munich, le mouvement Jugenstill, - L’Art Nouveau-, lui apprend une certaine sensualité picturale avec des formes courbes et chaleureuses.

Son travail principal, pendant longtemps, aura consisté essentiellement à des études animales, car ces formes de vie non humaine seraient la manifestation la plus expressive de la force vitale naturelle.
« Nos idées et non idéaux doivent porter un habit grossier, nous devons les nourrir de sauterelles et de miel sauvage et non d’histoire afin de sortir de la lassitude de notre manque de goût européen » (Franz Marc)
 Ce panthéisme aura hélas plus tard chez d’autres des plongées vers l’obscur et les mythes aryens.
Notre cavalier bleu nous a quittés, glissant un jour de son cheval éventré près de Verdun, mais il galope toujours en nous.
Comme toute chose véritable, sa vie intérieure garantit sa vérité. Toutes les œuvres d'art créées par des esprits sincères, sans égard pour l'extérieur conventionnel du travail demeurent véritables pour tous les temps.

Il a voulu faire œuvre de vérité, au plus près des vibrations des choses invisibles. Il était au plus près de son but, alliant dans une sorte d’abstraction mystique et lyrique les frémissements des mondes intérieurs qu’il voyait dans les animaux, proches eux du paradis perdu.
Il croyait en une loi créatrice de l'univers que l’abstraction aurait permis d’approcher.
Le mouvement envahissait ses peintures, avec de grandes obliques comme les lignes de force, où se tapit encore l’animal. Une énergie intense passe alors dans ses toiles.

Alors que ses ailes se déployaient, il sera fauché à mi-course de cette année de 1914, fabuleuse pour sa création.
Une série de dessins abstraits, exécutés au front, sont les derniers témoignages laissés par Marc, et montrent ce qu’aurait pu devenir le parcours artistique de ce peintre.
Fauché certes en pleine mutation, mais il repousse en nous.
Dans les forêts des rêves, le cri de sa peinture résonne encore, sans effaroucher daims, biches et renards et cerfs. Une histoire de bleu, sa couleur spirituelle, continue à nous être racontée.

« Quand le Cavalier Bleu fut tombé…
Nos mains se saisirent comme des anneaux…
un puissant personnage biblique sur lequel pendait un parfum d'Eden.
Au travers du paysage, il jeta une ombre bleue
Il était le seul qui pouvait encore entendre les animaux parler,...
 Et il transfigure leurs âmes incomprises. » Else Lasker-Schuler.

Gil Pressnitzer

Sources :
le site Franz Marc et ses peintures
Franz Marc Précurseur de la peinture abstraite par Susanna Partsch